"Valide" ou "absurde", la quête d'une superintelligence artificielle divise les experts
L'intelligence artificielle (IA) sera-t-elle capable d'égaler l'homme, voire de le dépasser? D'abord cantonnée à la science-fiction, la question divisait les experts jeudi lors d'une conférence scientifique en région parisienne, en amont du sommet de Paris sur l'IA.
Plusieurs pointures comme Sam Altman, patron d'OpenAI qui a popularisé l'IA générative avec ChatGPT, ou Dario Amodei, de la start-up américaine Anthropic, pensent parvenir à une intelligence artificielle générale (AGI) égalant l'humain dans les prochaines années.
"Ça ne fait aucun doute que ça arrivera à un moment ou à un autre", abonde Yann LeCun, directeur scientifique pour l'IA chez Meta, interrogé par l'AFP en marge de la conférence.
Considéré comme l'un des pères de l'intelligence artificielle, M. LeCun reconnaît toutefois que "les techniques actuelles, utilisées dans les chatbots et autres, ne sont pas suffisantes". "Les gens qui disent qu'on va avoir des systèmes aussi intelligents qu'un doctorant d'ici l'année prochaine se font des illusions", estime le chercheur.
Pour lui, "la quête de systèmes qui seraient capables d'apprendre de manière aussi efficace que les humains et les animaux" est néanmoins "tout à fait valide".
Au contraire, selon Michael Jordan, professeur à l'université de Californie à Berkeley, cette recherche d'une superintelligence capable de "répondre à toutes les questions" et à laquelle on pourra demander "comment résoudre le problème du changement climatique" est "absurde".
Les grands modèles de langage, qui sous-tendent les robots d'IA conversationnelle comme ChatGPT, sont similaires à un "tas de petits experts" qui peuvent répondre à des demandes spécifiques mais ce ne sont pas des "entités intelligentes", souligne ce spécialiste de l'apprentissage automatique et des statistiques, devant un amphithéâtre plein à craquer de la prestigieuse école d'ingénieur Polytechnique.
- "Nouveau domaine d'ingénierie" -
Les modèles développés par les géants de la tech peuvent "prédire extrêmement bien" parce qu'ils ont accès à l'entièreté de nos recherches sur internet, par exemple, mais l'IA ne peut pas "tout savoir" ou "donner de bons conseils" "parce qu'elle ne sait pas ce que je pense en ce moment dans le contexte de ce que je vais faire ensuite", poursuit-il.
Avec l'IA, on assiste avant tout à "l'émergence d'un nouveau domaine d'ingénierie" dont l'un des buts est de "résoudre des problèmes scientifiques", comme l'amélioration d'un réseau de transports, pour M. Jordan.
"Le développement de ce domaine incroyable est vraiment entravé par toutes les aspirations sur l'IA qui visent à construire un super robot", fustige-t-il, déplorant les "milliards et milliards" dépensés dans ce but.
Chez Meta, Yann LeCun travaille à la création de modèles capables de "raisonner de manière beaucoup plus puissante que ce que font les systèmes actuels et de planifier" mais aussi de "comprendre le monde physique", contrairement aux outils d'aujourd'hui qui compulsent des données pour répondre à des problèmes spécifiques.
Or, pour lui, "la compréhension du monde physique est beaucoup plus complexe que la compréhension et la production de langage" à laquelle nous avons pour le moment accès.
Quant au risque d'une "perte de contrôle" sur des IA animées de "leur propre volonté de vivre" menant à l'extinction de l'humanité, pointé notamment jeudi par le professeur en informatique et lauréat 2018 du prix Turing Yoshua Bengio, il s'agit de "science-fiction", répond Yann LeCun.
"On est habitué à une seule forme d'intelligence, l'intelligence humaine, et donc on associe toutes les caractéristiques de la nature humaine avec l'intelligence", considère-t-il.
"Les intelligences de niveau humain ou supérieur (...) n'auront aucune volonté de faire autre chose que de remplir les tâches qu'on leur donne et qui seront sous notre contrôle", assure le spécialiste.
Avant le sommet diplomatique lundi et mardi, Polytechnique accueille jusqu'à vendredi plus de 4.000 participants de 18 nationalités autour du thème "IA, sciences et société".
Le lieu n'a pas été choisi au hasard. A 25 km de la capitale, le bucolique plateau de Saclay (Essonne), qui réunit l'université Paris-Saclay et l'Institut Polytechnique, est l'un des épicentres de la recherche en intelligence artificielle en France.
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META
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