Elections en Roumanie: accusé de manipulations, Paris dans le viseur
La France fait l'objet d'une série d'accusations d'ingérence dans le processus électoral en Roumanie, obligeant ses services secrets à un démenti formel alors que Paris et Moscou s'accusent mutuellement de perturber la démocratie dans toute l'Europe de l'Est.
Alors que la France a déployé en Roumanie 1.200 soldats sous bannière de l'Otan après l'invasion russe en Ukraine en février 2022, son rôle dans la présidentielle roumaine de dimanche fait l'objet de tirs nourris des sphères prorusses.
George Simion, candidat nationaliste favorable à la fin du soutien à Kiev, favori du second tour et finalement battu par le pro-Européen Nicusor Dan, a accablé le président Emmanuel Macron vendredi. "Bas les pattes!", lui a-t-il lancé, l'accusant d'ingérence électorale en faveur de son adversaire et dénonçant ses "tendances dictatoriales".
Dimanche, attaque plus précise encore: le fondateur de la messagerie Telegram Pavel Durov a directement accusé le chef des services secrets français.
"Au printemps, au Salon des Batailles de l'Hôtel de Crillon (à Paris, ndlr), Nicolas Lerner (...) m'a demandé de bannir les voix conservatrices en Roumanie avant les élections", a-t-il écrit sur X.
"J'ai refusé. Nous n'avons pas bloqué les manifestants en Russie, en Biélorussie ou en Iran. Nous ne commencerons pas à le faire en Europe", a ajouté celui qui est poursuivi en France pour des infractions relevant de la criminalité organisée.
- La DGSE sort du silence -
Des propos que la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, services de renseignement), a jugé suffisamment graves pour sortir de son silence habituel.
La DGSE admet avoir "été dans l'obligation" ces dernières années "d'entrer en contact direct" avec le patron de Telegram "pour lui rappeler fermement les responsabilités de son entreprise (...) en matière de prévention des menaces terroristes et pédopornographiques".
Mais elle "réfute avec vigueur les allégations selon lesquelles des demandes d'interdiction de comptes, en lien avec un quelconque processus électoral, auraient été formulées à ces occasions".
En novembre, la Cour constitutionnelle roumaine avait invalidé un scrutin plaçant en tête un candidat d'extrême droite quasi inconnu, Calin Georgescu, après une campagne massive sur TikTok entachée de soupçons d'ingérence russe.
Paris s'en était félicité. La France dénonce constamment des "tentatives russes de plus en plus désinhibées de déstabilisation" dans plusieurs pays de l'Est européen.
Dimanche, la défaite surprise du nationaliste George Simion a encore accentué la polémique.
Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a fait son miel des accusations de Pavel Durov. "Le fait que les pays européens - la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne - s'immiscent dans les affaires internes d'autres pays n'est pas une nouveauté", a-t-il ironisé.
- Paris mobilisé contre Moscou -
"Croyez-moi, il y a certainement beaucoup plus d'exemples que ceux que nous connaissons".
La France n'est pas par hasard une cible privilégiée de Moscou. Elle mène la mobilisation européenne en faveur de Kiev, alors que les craintes grandissent de voir se désengager du continent les Etats-Unis de Donald Trump.
Et son contingent militaire pèse d'autant plus, stratégiquement et symboliquement, sur le flan Est de l'Otan.
Si un candidat d'extrême droite l'emportait à Bucarest et poussait Paris à retirer ses troupes, la position de l'Otan en Roumanie et sur les rives de la mer Noire en serait affaiblie, note George Scutaru, cofondateur du New Strategy Center, un groupe de réflexion roumain.
"Cela serait très favorable à la Russie", ajoute-t-il auprès de l'AFP.
Par ailleurs, "la France fait beaucoup pour soutenir la Moldavie", fait valoir l'ex-député roumain, rappelant que ce petit pays coincé entre Roumanie et Russie, qui dénonce régulièrement la déstabilisation du Kremlin, organisera en septembre des législatives.
En 2027, la Roumanie entamera enfin l'exploration de ses réserves de gaz en mer Noire, note George Scutaru.
Bucarest veut s'en servir notamment pour "aider la Moldavie, la Bulgarie ou même la Hongrie à ne pas être manipulées par la Russie sur le plan énergétique. Ce qui signifie avoir la possibilité de diminuer l'influence russe".
Accusations et contre-accusations s'échangent avec un vocabulaire similaire de part et d'autre.
Vendredi, Emmanuel Macron avait dénoncé des "ingérences" dans les élections en Roumanie et en Pologne, estimant qu'elles "(sapaient) l'intégrité" de la démocratie.
"Nous subissons des manipulations lors des périodes électorales, mais (aussi) des ingérences informationnelles étrangères à peu près tout le temps", avait-il souligné.
Dimanche, le gouvernement roumain a pour sa part dénoncé une "campagne virale de fausses informations" sur les réseaux sociaux, notamment Telegram, visant à "influencer le processus électoral" et portant "une nouvelle fois les marques d'une ingérence russe".
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