Dominique Bona: "Chacune de mes héroïnes m’a aidée à vivre"

Cet article est paru dans le magazine Notre Temps , N°663
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Ces femmes auxquelles vous vous intéressez ont-elles des points communs?
Dominique Bona: Berthe Morisot, les soeurs Heredia, Colette… Mes héroïnes sont des artistes. Mais bien sûr, c'est mon regard qui les relie. Mon approche est impressionniste. J'essaie de raconter leurs vies par touches successives, en restant légère. Je cherche à créer l'intimité.
Créer, aimer, être libre, c’est ce qu’elles ont recherché… Est-ce aussi votre cas?
Dominique Bona: Bien sûr. Quel plus bel idéal? Mais pour toutes, ce fut difficile. Elles ont dû affronter le monde professionnel à une époque où rien n'était fait pour les aider. Par exemple, les Beaux-Arts ont été fermés aux femmes jusqu'en 1897. Par ailleurs, si la maternité en a épanoui certaines, elle a pu en empêcher d'autres, comme ce fut le cas pour Edma, la soeur de Berthe Morisot, qui a dû renoncer à son art, alors qu'elle était tout aussi douée pour la peinture. La vie de famille l'a dévorée.
Comment travaillez-vous sur ces vies parfois méconnues? Y a-t-il un peu de fiction?
Dominique Bona: Je n'invente pas, je ne romance pas: tout repose sur un travail rigoureux de documentation, d'archives. Je me donne cette ascèse. Mais j'applique l'art du roman: je privilégie le portrait, le récit, et même l'intrigue proprement dite.
Peuvent-elles être des modèles pour les femmes d’aujourd’hui?
Dominique Bona: Sur l'ambition d'exister, sur le couple ou la maternité, ces femmes ont beaucoup à nous dire. J'admire la passion qui les maintient vivantes. Et aussi le courage qu'il leur a fallu. Je les décris simplement, sans chercher à faire d'elles des modèles, mais je leur dois beaucoup: chacune, à sa façon, m'a aidée à vivre.
Vous avez préfacé un rapport de l’Académie française sur les anglicismes, "N’ayons pas peur de parler français". D’où vous vient cette conscience de l’importance de la langue?
Dominique Bona: J'ai toujours été sensible aux mots, à la musique des phrases. Je dois cela à mon père qui était un conteur merveilleux. Ses histoires ont bercé mon enfance. L'éveil à la langue et à la littérature est venu de là. J'étais heureuse de participer à l'élaboration de ce rapport. Le français est un patrimoine que nous avons en partage avec 300 millions d'individus sur la planète. Il ne faut pas craindre ses évolutions. Mais ces dernières années, l'invasion du "franglais" est l'équivalent d'un tsunami. L'Académie interpelle ceux qui nous gouvernent ou nous administrent. Ils devraient être les premiers à donner l'exemple.
Ces dérives "franglaises" vous semblent-elles propices à accroître les inégalités?
Dominique Bona: Une langue est faite pour être comprise de tous et toutes. Ces mots qui surgissent à l'emporte-pièce sont souvent obscurs. "Fake news" fait son chemin mais que dire de "crowdsourcing" à la SNCF ou du "pick-up station" à la Poste? Face à un monde de plus en plus complexe, utiliser les mots dans une langue qu'on ne maîtrise pas ne facilite pas les choses. Quand le langage de l'administration devient incompréhensible, les citoyens qui n'ont pas un niveau d'études bac + 10 peuvent légitimement se sentir exclus. Le risque est aussi celui d'un fossé entre les générations. L'Académie est soucieuse de mettre en garde sur ce double danger
Le volume Destin de femmes (éd. Plon/ Bouquins) contient:
Les Yeux noirs ou les Vies extraordinaires des soeurs Heredia
Berthe Morisot. Le secret de la femme en noir
Deux sœurs: Yvonne et Christine Rouart, les muses de l'Impressionnisme
Je suis fou de toi. Le grand amour de Paul Valéry
Colette et les siennes.
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