Fabrice Arfi, journaliste aux sources du procès Sarkozy-Kadhafi
"En toute modestie, on a joué un rôle": Fabrice Arfi est un des journalistes français du site d'investigation Mediapart au coeur de révélations qui conduisent l'ancien président Nicolas Sarkozy à répondre devant la justice de soupçons de financement illégal de sa campagne de 2007 par la Libye de Mouammar Kadhafi.
"Quand vous voyez un ancien président et d'anciens ministres assis ensemble (dans un tribunal), vous savez que vous êtes le témoin d'un événement historique", commente Fabrice Arfi, 43 ans, auprès de l'AFP.
Jugé depuis début janvier pour corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs, M. Sarkozy, 69 ans, encourt 10 ans de prison et 375.000 euros d'amende, ainsi qu'une privation des droits civiques (donc une inéligibilité) allant jusqu'à 5 ans.
"Je ne sais pas quel sera le résultat - ce n'est pas à moi de dire s'ils seront reconnus coupables ou non - mais cela montre que notre travail n'a pas été vain", poursuit Fabrice Arfi. "En toute modestie, sans notre enquête, les procureurs n'auraient peut-être pas ouvert leur dossier", ajoute le quadragénaire barbu, né à Lyon, qui voulait être guitariste et a commencé dans la presse comme critique musical.
Et de dévoiler: "Mon père a quitté la police à la fin des années 80, quand j'avais 7 ou 8 ans. J'ai baigné, dans mon enfance et mon adolescence, dans des histoires policières racontées par mon père. Ca a joué dans mon imaginaire intime, c'est évident".
- "Pièces du puzzle" -
M. Sarkozy nie les faits. "L'argent de la corruption est le grand absent de ce procès et pour une raison simple: il n'y a pas d'argent de la corruption car il n'y a pas eu de corruption du candidat", a-t-il martelé au début de son procès.
Fabrice Arfi et son collègue du site d'information en ligne Mediapart Karl Laske ont passé 14 ans à documenter les liens présumés entre l'entourage de Sarkozy et Kadhafi.
L'enquête de Mediapart débute en 2011 lorsque quelqu'un - M. Arfi en dit le moins possible pour protéger ses sources - contacte la rédaction pour proposer des informations confidentielles. "Nous n'avons pas tout compris au départ. Il y a des morceaux qui sont comme des pièces du puzzle qui n'ont de sens qu'une fois que vous avez trouvé les autres", rembobine M. Arfi.
Un documentaire, "Personne n'y comprend rien", coproduit par Mediapart, vient de sortir en salles pour éclairer cette affaire nébuleuse. "On s'est dit: +faisons un film+, en prenant au mot une phrase de Sarkozy: +de toute façon, personne n'y comprend rien+. C'est le rôle des journalistes d'expliquer ce qui est complexe", prolonge le reporter.
- "Caverne d'Ali Baba" -
Lors d'un voyage à l'étranger pour rencontrer leur source, Arfi et Laske mettent la main sur un disque dur: "la caverne d'Ali Baba", selon l'expression du premier. La bombe médiatique explose le 28 avril 2012. Juste avant que Nicolas Sarkozy ne monte sur scène pour un meeting de campagne présidentielle à Clermont-Ferrand, Mediapart publie un article intitulé: "Sarkozy - Kadhafi, la preuve du financement".
Élément central: une note, rédigée en arabe et datant du 10 décembre 2006, dans laquelle Moussa Koussa, ex-chef des services de renseignement extérieur de la Libye, fait état d'un "accord de principe" pour "appuyer la campagne électorale du candidat" Sarkozy "pour un montant d'une valeur de 50 millions d'euros".
Un "faux grossier", un "torchon", martèle M. Sarkozy lors du procès, traitant de "voyous" les journalistes qui avaient publié la note - ce qui lui vaudra un rappel à l'ordre de la présidente. L'ancien président avait porté plainte mais l'instruction pour "faux" s'est soldée par un non-lieu, définitif en 2019.
Cette note embrase le second tour déjà houleux de la présidentielle de 2012 que remportera François Hollande huit jours plus tard.
"Nous avons publié au milieu d'une campagne électorale, ce qui est une période difficile pour un journal", dissèque M. Arfi. "Mais le retenir aurait été pire". Et de conclure: "La corruption tend un miroir à la France et les gens ne veulent pas regarder dedans".
Le procès doit durer jusqu'au 10 avril.
Prolongez votre lecture sur le sujet :